Une série d’articles dans le Monde sur les transformations du monde du travail depuis 1968 :
27 dimanche Mai 2018
Une série d’articles dans le Monde sur les transformations du monde du travail depuis 1968 :
27 dimanche Mai 2018
Le Monde 26 mai 2018
Les nouvelles merveilles de l’industrie
Le gouvernement a affirmé son soutien aux programmes pour l' » industrie du futur « . Il s’agit de favoriser la modernisation technologique et numérique des usines ainsi que la naissance de nouvelles industries. Mais le travail dans l’industrie n’a pas une bonne image en France : il est réputé pénible, sans autonomie, peu formateur. L’Etat et les professionnels ont donc multiplié les efforts pour le rendre plus attractif auprès des jeunes. Or, on doit à un élève ingénieur, Dimitri Pleplé, une initiative originale : celle d’un tour de France à vélo qui l’a conduit à visiter plus de trente usines, en parcourant plus de 2 800 km. Un périple dont il raconte les surprises et les leçons sous la forme séduisante d’un recueil de cartes postales adapté à un large public qui doit paraître en juin (L’indus’trip : un vélo, des usines et des hommes, Presses des Mines).
Premier étonnement : la variété des activités que recouvre aujourd’hui la notion d’industrie. Blanchisserie, traitement des déchets, fabrication des frites, flacons de luxe, matelas exigent des technologies et des organisations aussi pointues que les traditionnelles usines mécaniques, chimiques ou métallurgiques. Autre surprise : ces dernières ne sont pas nécessairement des productions de masse. Alors qu’une usine de frites est un flux continu qui engloutit chaque jour 1 600 tonnes de pommes de terre, la fabrication de chaudières pour hôpitaux exige des pièces spéciales qui font 6 m de long et 2,5 m de diamètre. La confusion entre grande série et industrie est donc vite dissipée.
Mais qu’est-ce que l’industrie ? L’auteur y répond à sa manière : » J’aime la création de valeur observable ; sur une ligne de production, on voit le produit se transformer en direct. » On est proche de l’étymologie ancienne d' » industrie » et de l’adjectif » industrieux « , qui met l’accent sur l’action collective préparée, concrète, ingénieuse.
Dans un style de » clip » contemporain, ce tour de France des usines rappelle une tradition ancienne. Celle d’un Louis Figuier et de ses Merveilles de l’industrie (1873-1877), ou d’un Eugene H. Weiss popularisant Les Merveilles des sciences et de l’industrie (1926). A l’époque, il s’agissait d’expliquer une nouvelle façon de créer des richesses, la puissance issue du progrès technique ou le rôle devenu vital de la science dans la production.
Invitation à l’ingéniosité
Notre visiteur à vélo n’est pas resté insensible aux cathédrales technologiques, mais il insiste en conclusion sur ce qui peut redonner à l’industrie le sens du progrès collectif.. Une usine, aussi sophistiquée qu’ait pu être sa conception initiale, est une source inépuisable de problèmes à résoudre. On peut toujours progresser en matière de conditions de travail, de procédés de fabrication, de services au client, d’impact environnemental… Le plus attirant dans l’industrie, ce serait donc d’abord cette invitation permanente à l’ingéniosité ! Mais son périple l’a aussi convaincu que cette ingéniosité passe par un » appel à l’intelligence des acteurs « . Démarche aujourd’hui bien vivante dans les quelques usines où il a pu voir que l’organisation et la gestion accordent une large responsabilité aux salariés ; ou lorsque sa visite a été guidée par un ouvrier.
L’industrie du futur fera une place importante à la robotisation et à l’intelligence artificielle. Mais sa compétitivité, sa capacité permanente de progrès et d’innovation reposeront plus que jamais sur l’ingéniosité collective que les entreprises sauront susciter et valoriser. On doit donc comprendre la future loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) – actuellement préparée par Bruno Le Maire, ministre de l’économie – qui veut étendre l’objet social et les finalités des entreprises, comme un atout pour l’industrie du futur. Il est heureux qu’un élève ingénieur soit convaincu, au terme d’une odyssée à travers l’industrie, que les salariés peuvent faire des » merveilles « , lorsque l’entreprise les reconnaît comme une composante essentielle de son pouvoir créateur.
par Armand Hatchuel
06 mardi Fév 2018
02 vendredi Fév 2018
Question de cours sur la fragilité du système financier
QCSystèmefinancier
11 jeudi Jan 2018
La directive MIF 2 encadre davantage les produits dérivés, les obligations et le trading à haute fréquence
Pour Brian Schwieger, cadre dirigeant à la Bourse de Londres, il s’agit de » la plus grande réforme des marchés financiers depuis le “big bang” – la dérégulation mise en place par Margaret Thatcher, en 1986 – « . Pour la préparer, il a dû mobiliser près de trois cents personnes ces trois dernières années.
Mercredi 3 janvier, la deuxième directive européenne sur les marchés d’instruments financiers, dite MIF 2, va entrer en vigueur. Dix ans après la crise de 2008, son objectif est d’apporter plus de transparence et de promouvoir un meilleur encadrement des marchés. A l’avenir, les produits dérivés et les obligations, traditionnellement échangés » de gré à gré « , sans passer par des Bourses, vont en principe être mieux contrôlés. » Le changement est majeur « , confirme Grant Lee, du cabinet d’audit PwC.
En 2007, l’Union européenne a adopté la MIF 1, qui a révolutionné les marchés actions. Les vieilles Bourses d’antan ont perdu leur monopole. Il est dorénavant possible d’échanger des actions sur des plates-formes concurrentes, par lesquelles transitent le tiers des opérations boursières. Sous pression, les Bourses historiques ont été contraintes de baisser les commissions qu’elles faisaient payer à leurs clients et d’offrir de meilleurs services.
Mais, alors que cette réforme n’en était qu’à ses prémices, la crise financière a éclaté. Le problème n’est pas venu des marchés actions, mais de produits » exotiques » dont presque personne n’avait entendu parler, et qui étaient passés sous le radar des régulateurs. » La crise a révélé un grand manque de transparence « , analyse M. Schwieger.
En avril 2009, les dirigeants de la planète se sont réunis à Londres, lors d’un G20 historique. Ils ont alors adopté une feuille de route claire : mieux réguler les banques – ce qui est globalement chose faite – et mieux encadrer les marchés financiers au sens large, au-delà des seules actions. Aux Etats-Unis, c’était l’un des objectifs de la fameuse loi Dodd-Frank. En Europe, plusieurs réformes sont déjà passées, mais la MIF 2 est l’aboutissement le plus ambitieux de ce processus.
Jusqu’à présent, l’immense majorité des échanges de produits dérivés et d’obligations se faisait » de gré à gré « , c’est-à-dire directement entre un acheteur et un vendeur. Il y a quelques années, il fallait encore décrocher son téléphone et appeler les acheteurs potentiels un à un pour connaître le prix qu’ils étaient disposés à payer pour une obligation ou un produit dérivé. A présent, les échanges se font essentiellement de façon électronique, mais le principe reste le même : le vendeur ou l’acheteur teste le marché et parvient à un accord, dans un certain anonymat et sans publier la transaction ni son prix. On est loin de la transparence des marchés actions, où il est possible de tracer chaque échange.
La MIF 2 impose désormais de publier le prix du produit dérivé ou de l’obligation avant et après chaque transaction. Cette avancée est bénéfique non seulement pour les régulateurs, qui pourront mieux superviser les flux financiers, mais aussi pour les tradeurs, qui travailleront sur un marché plus sain. » Cela devrait permettre de réduire fortement les écarts de prix entre les produits, alors qu’actuellement, deux produits identiques peuvent avoir des prix très différents « , estime Grant Lee.
Application ardue
De plus, chaque courtier aura désormais son propre numéro d’immatriculation, qui sera associé à chaque transaction de produit financier. En cas de fraude ou de crise, il sera possible de savoir exactement qui a fait quoi. Jusqu’ici, seule la firme qui avait exécuté la transaction pouvait être identifiée, mais pas le courtier.
La nouvelle directive s’intéresse aussi aux algorithmes, qui sont à l’origine d’une grande partie des transactions boursières effectuées sans aucune intervention humaine. Chaque firme, notamment dans le trading à haute fréquence, est désormais obligée de déposer auprès du régulateur les codes informatiques qu’elle utilise pour ses transactions. » Cela doit permettre de repérer en temps réel si un algorithme s’emballe, d’intervenir très rapidement et d’éviter les flash crashes – les chutes des marchés qui durent quelques secondes ou quelques minutes – « , espère M. Schwieger, de la Bourse de Londres.
Si ces grands principes sont relativement simples, leur application, elle, est particulièrement ardue. Depuis la première proposition de la Commission européenne, en 2011, et son adoption définitive en 2014, les régulateurs, les banques, les gestionnaires d’actifs et les autorités bruxelloises se livrent d’âpres batailles sur des points d’une extrême technicité. Au total, quarante-deux mesures sont adoptées, détaillées sur 1 500 pages de législation…
A Londres, le plus grand centre financier de l’Union européenne (jusqu’au Brexit), le régulateur a dû approcher 18 000 firmes pour leur expliquer les nouvelles règles. Elles sont tenues d’adapter leurs systèmes informatiques pour incorporer les numéros d’immatriculation des tradeurs et respecter les nouvelles normes de transparence.
Conscientes des difficultés que cela pouvait induire, les autorités européennes ont accepté de repousser d’un an l’entrée en vigueur de la MIF 2, qui devait être lancée en janvier 2017. Ces dernières semaines encore, l’Autorité européenne des marchés financiers a accepté une période de transition pour l’application de certaines normes. « Je pense que les marchés sont prêts, mais on ne le saura pas de façon certaine tant qu’on n’aura pas testé le système grandeur nature « , reconnaît M. Lee. Les premiers éléments de réponse seront disponibles dans les jours qui viennent.
Eric Albert